--- title: Ce par quoi il donne tags: - étymologie - voix-médiane - geste --- # Une donation, pas une production ## Fructidor : qui donne les fruits Le calendrier républicain français (1793-1805) nommait le 11e mois **Fructidor** — du 18 août au 16 septembre, période des récoltes. **Étymologie** : - _fructus_ (latin) : fruit - _doron_ (grec) : don **Fructidor** = "qui donne les fruits" Cette nomination ne désigne pas une action volontaire. Les arbres ne "produisent" pas les fruits, Ils se donnent en fruit et en fin d'été — les fruits **se donnent** et [[L'expérience de la chute|tombent]] par le processus même de la maturation. Ce n'est ni actif (je donne) ni passif (on me donne des fruits), mais **médian** : ça se donne par l'arbre, et avec lui, l'apogée d'un été, qui est le lieu-même de cette donation, sa tonalité, sans en être la cause originaire. ## Le geste comme fructidor Le [[Geste]] n'est pas un mouvement que l'on exécute. Il est **ce par quoi un monde se donne**. Cette formulation n'est pas métaphorique — elle nomme un processus transitif où quelque chose advient _par_ le geste, sans que le geste soit une cause volontaire ou une origine stable. Le geste opère selon la même structure : - Il ne "produit" pas un monde par volonté - Le monde **se donne par** le geste - Le geste est le lieu de cette donation, pas son origine Comme l'arbre ne contrôle pas la fructification tout en étant le lieu où elle advient, le sujet ne contrôle pas le geste tout en étant le lieu où il se déploie. ## Étymologie de "donner" **Latin** : _donare_ → faire don, offrir **Indo-européen** : _dō-_ → donner Le verbe "donner" porte cette ambiguïté fondamentale : est-ce moi qui donne, ou est-ce que quelque chose se donne par moi ? La langue grecque ancienne résolvait cette tension par la **[[Voix médiane]]** : une forme grammaticale distincte de l'actif et du passif, qui nomme un processus dont le sujet est le lieu sans en être la cause. ## Le geste donne le sens > Le geste (ou le verbe) nomme l'indissociabilité de l'agir, de l'être et du sentir. Il « fait sens », comme Lucia Angelino le dit en prenant l'anglicisme au pied de la lettre : en lui, se fabrique le sens, c'est-à-dire que se tissent le sentir et le faire qu'il déploie. Le geste ne représente pas un monde préexistant, il **fait advenir un monde — et par là même un sujet expérimentateur**. Cette donation est [[Récursivité|récursive]] : le monde qui se donne par le geste reconfigure le geste qui peut le donner. Comme fructidor nomme le temps où les fruits se donnent et transforment l'arbre qui les porte, le geste nomme le processus où un monde se donne et transforme le sujet qui en est le lieu. ## Liens - [[Geste]] — organisation émergente, transitivité - [[Voix médiane]] — ni actif ni passif - [[Récursivité]] — le sens émerge du processus qui le cherche - [[Agentivité]] — dissolution du sujet comme origine stable --- _"Ce par quoi il donne" — non pas une action, mais une donation_